Séquence


Par le hasard des rencontres, et sachant qu’une chose en amène toujours une autre, je me retrouve sur un plateau de tournage, afin de faire de la figuration, pour le film de fin d’étude de talentueux étudiants d’une école de cinéma. Ils font déjà preuve de professionnalisme et se révèlent attentifs à tous les détails. Je participe au tournage, durant 3 jours, accompagnée de joyeux acolytes. L’équipe technique se déploie, avec une incroyable coordination, en considérant que le nombre de techniciens monte jusqu’à 60, pour réaliser ce court métrage sur le thème du deuil. Que ce soit l’équipe technique, les acteurs ou les figurants, chacun s’implique, avec la meilleure volonté, dans ce beau projet. Nous sommes accompagnés et guidés dans cette aventure pleine d’enseignements et riche en émotion. 

L’une des scènes se déroule à Fay-de-Bretagne, la ville où reposent mes parents et qui s’avère donc être un lieu particulier pour moi. 

Sur le plateau, nous nous plaçons selon un schéma précis. Chaque aspect du tournage a été minutieusement préparé, bien à l’avance. Les scènes sont répétées et tournées plusieurs fois. Nous effectuons des gestes identiques, à maintes reprises, avec le plus de naturel possible. On se laisse imprégner par le contexte émouvant de l’histoire, afin de le laisser transparaître sur nos visages et dans nos postures. 

Dans le charmant jardin où se déroule le tournage, petit écrin de verdure merveilleux et paisible, je joue une scène, avec celui qui interprète mon père. C’est un homme adorable et plein d’esprit. Dans notre scène, nous parlons tout les deux, autour d'une table. On se dit des choses simples. Je l’incite à prendre soin de lui, tandis qu'il me regarde, avec un air concerné. Durant ces instants, la magie du cinéma m’offre à nouveau un père à qui je peux parler et demander comment il se porte, dans la pâle lumière du jardin, bordé d’arbres majestueux. 

Lorsque le tournage se termine, je me dirige vers le cimetière de Fay-de-Bretagne. J’ouvre le portillon métallique et pénètre en ce lieu calme, sous un ciel blanc. De courtes averses ont détrempé la nature environnante. J’approche doucement des tombes de mes parents, sur lesquelles des fleurs, aux pétales vermillon, sont parsemées de gouttes de pluie. Le marbre de la pierre tombale de mon père, veiné de gris et d’ocre, semble palpiter. Je pose ma main sur le marbre froid et trempé qui semble se réchauffer sous ma paume. A l’instant même, un lourd nuage gris sombre se dissipe, laissant apparaître un beau soleil dont les rayons me réchauffent instantanément, jusqu’au plus profond de mon cœur. 

Lors d’une discussion, j’ai appris que même en ayant participé à un tournage durant plusieurs jours, un figurant peut être coupé au montage final, en raison de faux raccords ou de diverses autres raisons. 

Je me dis qu’à partir du jour où nous quittons ce monde et, par conséquent, le plus incroyable rôle qui nous soit donné, celui de notre propre vie, il revient à nos proches, la tâche du montage de ce qui constituait notre existence, jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne pour se souvenir et que nous ne soyons plus même un figurant dans l’histoire d’un autre. 

La main encore posée sur le marbre humide, je me refais le film de la vie de mon père. Je le revois avec sa haute stature, ses yeux bleus perçants, ses cheveux poivre et sel et son sempiternel trench coat beige. Il me sourit, plaisante et fume une cigarette, tandis que sa silhouette se découpe sur un splendide ciel azur. Je me passe le film en boucle, pendant que le soleil disparaît lentement derrière les nuages et, dans mon cœur, le ciel reste bleu. 

© Texte et photo Aliénor Oval – 05/05/2025



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