Géographie de l’aube
Plusieurs fois, durant le mois d’août, j’accompagne ma fille, au petit matin, lorsqu’elle déambule dans le centre de Nantes, pour effectuer les tâches de son job étudiant, avant sa rentrée en Master, début septembre. Ce travail débute vers 5h et nécessite de se rendre d’immeubles en immeubles, pour sortir les poubelles, avant d’enchainer, plus tard, par des heures de ménages, dans d’autres logements. Les locaux des poubelles étant situés dans de sombres sous-sols ou tout au fond de parking sous-terrain, je décide donc de me joindre à ma fille, pour d’évidentes raisons de sécurité, lorsque ce n’est pas son copain qui s’en charge. Lorsque mon tour advient, je me cale sur son rythme, me levant à 4h, afin de partir de notre domicile à 4h30 et d’arriver en centre-ville vers 5h. La tournée commence alors, suivant un parcours bien établi, de façon à être la plus efficace possible. Munie d’un énorme trousseau de clés et dotée d’un sens de l’orientation bien plus aiguisé que le mien, elle se déplace rapidement et il me faut cavaler pour tenir le rythme. Les codes d’interphone en tête ou la bonne clé en main, elle ne perd pas de temps pour entrer dans la vingtaine d’immeubles de sa tournée matinale. Je réalise alors que si je devais trouver mon chemin, hirsute, à peine réveillée, les yeux mi-clos, me souvenir des codes et repérer la clé adéquate parmi une cinquantaine, quasi similaires, la probabilité que les poubelles soient sorties sur les trottoirs, avant le passage des éboueurs, est infinitésimale. Il faut de nombreuses qualités pour effectuer, comme il se doit, ce qui s’avère être l’œuvre de ces travailleurs invisibles, ceux qui nettoient les logements, les bureaux et que l’on croise rarement. On constate l’exécution de leurs tâches, mais on pense rarement à eux et à leur réelle implication dans leurs missions. Une fois passée la porte d’entrée, on s’engouffre dans les entrailles de ces vieux immeubles nantais, jusqu’au local nauséabond dans lequel sont entreposées les bacs à poubelles, aux couvercles jaunes et bleus. Et ce sont de lourds bacs qu’il faut rapporter à la surface et faire rouler jusqu’au trottoir. Puis, on enchaîne, sans perdre un instant, en direction d’un autre immeuble. Dans ce périple, débuté avant que le jour se lève, on croise quelques oiseaux de nuits, en grappes bruyantes, autour des boîtes qui ferment tout juste. En dehors de ces groupes, très peu de rencontres, hormis quelques promeneurs rêveurs et d’autres personnes au pas plus pressé et à la mine froissée qui se dirigent, sans doute, vers leur lieu de travail. En ce mois d’août et à cette heure-ci, l’air frais est revigorant, ce qui est agréable. C’est étonnant de voir la ville de si bonne heure, sous un angle différent. Lorsque nous arrivons à la Place Royale, après avoir dévalé la rue Crébillon, la Basilique Saint Nicolas se découpe dans le bleu dilué mais encore sombre du ciel, juste avant l’aube. Le clocher est d’une beauté troublante, alors que d’habitude, je n’y prête même plus attention, pour être passée là tant de fois. Je me dis que c’est incroyable de voyager dans ses propres territoires et qu’il faudrait le faire plus souvent. C’est décidé, je reviendrai me balader ici et ailleurs, avant le lever du jour, non pas avec une poubelle en main, mais avec un appareil photo, pour fixer ces instants magiques où d’autres lieux semblent se superposer à ceux que l’on connait déjà.
© Texte Aliénor Oval et
photo Maria Oval - le 22/09/24
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