Fête du père
Célébrer
la fête d’un père qui n’est plus là, est-ce célébrer l’absence ou la présence
invisible de celui qui a tant compté ? Comme des ricochets innombrables
qui plissent la surface d’un lac, me reviennent des bribes de souvenirs embués.
De petites bulles qui éclatent dans ma tête et se répandent dans mon esprit. L’image
semble moins nette, un peu floue, un peu passée, comme ces photos anciennes que
l’on conserve dans des albums usés, aux pages écornées, à force d’avoir été
tournées. Le focus est moins précis. Mon père semble plus lointain. Je zoom
mentalement. Déjà, il apparait plus clairement. Tout d’abord, c’est son sourire
qui illumine ma mémoire. Un sourire tendre et moqueur, plein de bienveillance.
Un sourire qui se prolonge jusqu’aux yeux bleu pale, délavés, presque gris. Sa
stature s’impose à moi. Ses 1,87 m qui me le faisaient prendre pour un géant,
lorsque je n’étais qu’une toute petite fille. La nébuleuse de cheveux gris,
puis blancs, qui cernait son crâne. Ses costumes et son trench beige, qui lui
conféraient une certaine élégance. Les volutes de fumées qui l’entouraient,
sans cesse. Déjà enfant, il me semble que je n’avais que des fragments de lui,
tant il était absent à lui-même et aux autres. J’assemblais les pièces de ce
père-puzzle, tant bien que mal. A l’adolescence, je dessinais ses contours, en
creux. Plus tard, j’appréciais son calme et sa capacité à ne jamais juger, son
intelligence implacable, son humour féroce. Pourtant, il restait mystérieux. Lorsque
la vieillesse et la maladie l’ont accablé, je me trouvais à ses côtés, et
devenant l’aidante de ce père translucide, je découvrais ses fragilités et une
force insoupçonnable, dans les tréfonds du désespoir. Après sa mort seulement,
je parvins à le comprendre tout-à-fait, à travers des lettres anciennes, des textes
remarquables trouvés aux fonds de tiroirs poussiéreux et de milles autres
petites choses qui semblaient anodines mais, qui mises bout à bout, permettaient,
à ma grande surprise, de rassembler les pièces du puzzle et d’avoir enfin une
image intégrale de celui que je n'avais eu de cesse de deviner.
Récemment,
en Savoie, au milieu des montagnes, j’observais une rivière tumultueuse, dont
la couleur bleu grisée était exactement la même que celle du ruisseau peint par
mon père sur son réseau de petits trains, lorsque que nous habitions à Annecy
et que j’avais 4-5 ans. Le ruisseau était recouvert de plexiglas et j’aimais
passer mes doigts sur la surface lisse, même si j’avais l’interdiction formelle
de toucher le réseau. La couleur de l’eau m’intriguait. Je réalise maintenant
que mon père avait parfaitement capturé la couleur de l’eau d’une rivière de
montagne et que le reste de son réseau, dont il peignait chaque détail
minutieusement, durant des heures, était d’un incroyable réalisme.
Aujourd’hui,
je pense à lui. Je revois la couverture en laine vert sapin sur son lit, comme
une étendue de forêt dans l’austérité de sa chambre. Je me souviens de ses yeux
bleus-gris et je sais maintenant qu’ils ont la couleur des ruisseaux de
montagne.
C’est
ainsi que j’aime me souvenir de lui, avec tendresse et émotion. Et lorsque je
gravirai à nouveau la montagne et que je contemplerai l’une de ces belles
rivières d’altitude, il me semblera le regarder dans les yeux, à nouveau.
Commentaires
Enregistrer un commentaire