KOMOREBI
Durant une nuit qui
semblait s’étirer à l’infini, l’une de ces nuits où la solitude scintille,
parsemée des pensées de ces autres invisibles, ceux qui nous ont aimé et ceux qui
ressurgissent, dès que nos pensées s’extirpent des vicissitudes du quotidien,
je regarde le magnifique film de Wim Wenders Perfect days. Au cœur de la nuit,
je me laisse bercer par l’histoire d’Hirayama, modeste travailleur, très dévoué
à son labeur, pourtant ingrat. Il se passionne pour les livres et la musique,
prend en photo le feuillage des arbres, légèrement secoué par le vent,
lorsqu’il déjeune au parc, le midi. Hirayama sait voir le beau et la poésie en
toute chose. Il connaît la joie des choses simples. Plus le film avance, plus
on comprend le passé et l’attitude de ce personnage très attachant. Lors des
plans aériens où l’on découvre l’enchevêtrement des routes de Tokyo, je repense
au film Trafic de Jacques Tati que j’avais regardé, adolescente, avec mon père.
Un film surprenant et unique, avec des vues aériennes similaires, durant certaines
séquences. Je remarque également qu’Hirayama ne parle pratiquement pas durant
un film de 2h05, tout comme M. Hulot, l’emblématique personnage de Jacques
Tati. Les séances de visionnage des films de Jacques Tati, tels Les vacances de
M. Hulot, Mon oncle ou Jour de fête, en compagnie de mon père me reviennent,
avec une douce nostalgie. Je revois ses fous rires silencieux, devant certaines
scènes. Il riait tant, qu’aucun son ne sortait de sa bouche. Une larme coulait
le long de son visage, tordu par l’hilarité. Il se contorsionnait dans son
fauteuil. Et moi, je riais de le voir rire ainsi, plus que du film lui-même. Je
découvrais en mon père la possibilité de cette joie réelle qui fracture la
mélancolie et irradie le visage d’une lumière nouvelle. Lors d’une prochaine
nuit de rare et précieuse solitude, je regarderai, avec plaisir, l’un ou
l’autre des films vus jadis avec mon père. Dans l’étoffe douce de l’air,
résonnera sans doute l’écho de son rire silencieux. A l’issue de son film, Wim
Wenders nous invite à prendre conscience du Komorebi, qui pourrait se définir
par La lumière qui oscille entre les feuilles des arbres, et qui ne peut être observée
que sur le moment. Être heureux, c’est peut-être seulement la capacité à se
saisir de l’instant présent, accepter la beauté de nos pensées qui oscillent
entre ombre et lumière. Et savoir que l’invisible nous étreint dans la ouate
des souvenirs et qu’il suffirait de fermer les yeux et tendre le bras pour sentir
au creux de notre main celle de ces autres que l’on a perdu et qui ne sont
jamais loin de nous.
©
texte et photo Aliénor Oval – 21/05/2024
Bonjour Elienor, merci pour ce beau récit 😁
RépondreSupprimerMagnifique de douceur et de poésie
RépondreSupprimerQuel beau texte qui m'a donné envie de regarder ce film (la bande annonce aussi). Merci Aliénor pour ces jolis mots !
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