Zénith
Dans la douce lumière de la fin d’après-midi, je roule sur le pont de Saint-Nazaire, après une journée bien remplie. Je me souviens de la sensation incroyable que j’avais ressentie lorsque nous l’avions traversé pour la première fois, avec mon frère et mes parents. J’étais enfant. Il faisait nuit. Le pont étincelait de mille lumières. Tandis que mon père conduisait sa vieille 205 et que nous montions de plus en plus haut, mon frère et moi avions basculé notre tête en arrière, pour mieux profiter du spectacle. Les lumières brillaient au-dessus de nous. C’était magique.
Le ciel prend des teintes irisées bleu pâle et dorées,
tandis que je traverse le pont. Soudain, je sors de ma rêverie, en apercevant
de petits bouquets de fleurs en tissu, accrochés à la rambarde du pont. Un
premier, puis deux plus loin, encore un, en tout 6 ou 7, peut-être. Ma gorge se
serre. Je repense à mon père qui avait marché le long du Pont de Saint-Nazaire,
comme on gravit le Golgotha, le jour de l’anniversaire de ma mère, alors qu’il
disait partir acheter des cigarettes. C’était il y a 8 ans, environ 3 ans avant
sa mort. Arrivé en haut du pont, il avait enjambé la rambarde. Un automobiliste
bienveillant l’avait arrêté dans son geste désespéré et nous avions gagné
quelques années ensemble. Mon cœur est serré devant les bouquets dont certains
sont déjà décolorés par les embruns. Des bouquets déposés au pied de la
mer-cimetière, pour un dernier hommage. Si je devais faire un pèlerinage ce
serait celui-là, déposer des fleurs là où mon père a décidé un jour que sa vie
s’arrêterait. Même s’il a vécu encore quelques années ensuite, une part de lui et
une part de moi sont restées figées dans ce moment.
Je conduis pendant près d’une heure, pour aller
chercher mon fils, à son stage dans une pépinière, avant de rouler une heure de
plus, afin de rejoindre Nantes. J’écoute de la Trap à fond, perdue dans mes
pensées. J’arrive enfin. Mon fils me rejoint. La porte s’ouvre et, avec lui,
s’engouffre une bouffée de vie dans l’habitacle. Une odeur merveilleuse emplit
la voiture. Qu’y a-t-il de plus beau qu’un adolescent, à peine sorti de
l’enfance, qui sent la terre et les arbres ?
© Texte Aliénor Oval et photo Maria Oval – 15/04/2024
Je ne connaissais pas ce moment de ta vie mais qu'il soit réel ou imaginé, tes mots sont émouvants et beaux ! Merci !
RépondreSupprimer