Conte de Noël pour les grands enfants

 


      
Voulez-vous un peu de ce délicieux thé de Noël, M. Morton ?

Charlie fait mine de verser du thé dans la tasse en porcelaine, posée devant son ours en peluche. Sur la petite table ronde, recouverte d’une belle nappe blanche, se trouve disposée une charmante dînette. Dans les assiettes fleuries se trouvent quelques fruits en bois et de faux gâteaux crémeux, aux couleurs pastel. Charlie, très fier d’avoir sept ans, souhaite plus que tout, se comporter en grand garçon raisonnable. Qui plus est, en ce temps heureux pour les enfants sages qu’est Noël. Charlie s’adresse, avec une politesse exagérée, à l’ourson, assis en face de lui.

       M. Morton, nous recevons aujourd’hui un invité d’exception. Vous savez de qui il s’agit, n’est-ce pas ?

Après un court silence, le jeune enfant s’exclame :

       Vous avez raison. C’est le Père Noël, bien sûr ! Et nous devons lui faire honneur. Nous lui avons préparé un beau festin, dont il se souviendra, je pense. Qu’en dites-vous, M. Morton ?

Charlie montre du doigt les divers mets factices, posés sur la table, avec une grande fierté. Son visage doux d’enfant sage s’illumine, encadré par ses cheveux bruns et soyeux. Bien qu’il porte son pyjama rouge en coton épais, à motifs et liseré blanc sur les bords, il ne peut s’empêcher de frissonner.  Il observe la pièce dans laquelle il se trouve. Hormis la table, sa chaise et celle de M. Morton, la pièce est entièrement vide. Les murs, à la peinture défraichie, sont éclairés par une ampoule nue et vacillante. Le visage de Charlie s’assombrit. Il fixe l’ours en peluche.

       Cela fait longtemps que nous attendons le Père Noël. Très longtemps. N’est-ce pas, M. Morton ? Peut-être qu’il nous faut croire plus fort en lui pour qu’il se décide à nous rejoindre et à m’apporter mon cadeau. M. Morton, nous allons tous les deux fermer nos yeux et penser très fort au Père Noël. Nous verrons si cela le fait venir.

Charlie s’exécute, son visage entier tendu par la concentration. Il entend le bruit d’une porte qui s’ouvre doucement. Fou de joie, il écarquille les yeux en découvrant le Père Noël qui pénètre dans la pièce exiguë.

       Père Noël, tu es venu ! Je t’attends depuis si longtemps !

Le Père Noël, quelque peu décontenancé, observe la pièce, puis se tourne vers Charlie. Il s’avance vers l’enfant, les yeux plein de larmes. Il se penche vers lui, en souriant, et le prend tendrement dans ses bras.

       Cher petit, tu m’as tant manqué !

       Tu te souviens de moi ?

       Comment t’oublier, Charlie ?

       Tu connais mon nom, Père Noël ?

Le vieil homme prend un air grave. Il fixe Charlie et murmure, d’une voix lasse :

       Je ne suis pas le Père Noël, mon petit.  

D’un geste lent, il abaisse sa fausse barbe et découvre ainsi son visage.

       Papy !

L’enfant d’abord incrédule, se blottit dans les bras de son grand-père.

       Je suis content de te voir, Papy. Où sont les autres ? Je ne les ai pas vus depuis longtemps. Où sont papa et maman ?

Le vieil homme sanglote et Charlie sent les soubresauts de son torse, à travers le velours épais du costume de Père Noël.

Au bout d’un moment, le grand-père parvient à se ressaisir. La voix enrouée par une vive émotion, il s’adresse à Charlie, de la plus tendre des manières.

Ils ne sont pas avec moi, Charlie.

       Où sont-ils ?

       Ils sont de l’autre côté.

       De l’autre côté de la porte ?

       D’une certaine façon, oui.

       Alors, je peux les retrouver ?

       Non, mon cher enfant. Toi et moi, nous ne pouvons plus retourner de l’autre côté de la porte.

       Pourquoi ?

Les yeux emplis de larmes, le vieil homme inspire profondément et confie à Charlie :

       Parce que nous n’appartenons plus au monde des vivants.

       Mais où sommes-nous alors ? S’exclame Charlie, qui commence à pleurer. Son grand-père essuie, avec douceur, les larmes qui coulent le long de ses joues rondes.

       Je n’en suis pas sûr, Charlie, mais je crois que nous sommes entre deux mondes. Je   crois que tu es resté ici, car tu as attendu le Père Noël de toutes tes forces et de tout ton cœur. Tu lui es resté fidèle depuis toujours. Tu ne le savais sans doute pas, mais c’est moi qui jouais le rôle du Père Noël, depuis que tu étais tout petit. Comme toi, j’ai toujours cru en l’esprit de Noël.

       C’était toi ? Alors ça veut dire que le vrai Père Noël n’existe pas ?

       Si, il existe, bien sûr, mais il fait des choses bien plus extraordinaires que d’apporter des cadeaux. Il apporte de la magie dans le cœur des petits et des grands enfants, et c’est pour cela que nous sommes ici tous les deux.

       Que s’est-il passé ? Je ne m’en souviens pas. Pourquoi suis-je arrivé ici ?

       Tu étais très malade Charlie. Ton papa et ta maman ont pris soin de toi et t’ont donné tout leur amour, jusqu’à la fin. C’était le soir de Noël, voilà 5 ans, déjà. Tu attendais que le Père Noël t’apporte ton cadeau. J’enfilais mon costume de Père Noël, en tentant de surmonter mon chagrin, mais je ne suis pas arrivé à temps. Et depuis, tu attendais le Père Noël ici, avec ton ourson. M. Morton, c’est bien ça ?

       Oui, c’est bien son nom. C’est un fidèle compagnon.

       Je te crois volontiers, Charlie. Tu ne le savais pas alors, mais tes parents avaient pour toi le plus beau des cadeaux.

       Lequel ?

       Une petite sœur. Blottie dans le ventre de ta maman.

       Une petite sœur ! Exulte Charlie. Comment s’appelle-t-elle ?

       Louise.

       Je suis si heureux !

Le grand-père ouvre le médaillon doré attaché à son cou et présente à Charlie les photos qui se trouvent à l’intérieur, l’une de son petit-fils et l’autre de sa petite-fille, Louise, jolie fillette blonde aux joues roses.

       Comme elle est belle ! s’exclame Charlie. Elle ressemble à maman.

       C’est vrai. Une enfant adorable. La bonté même.

       Pourquoi tu n’es plus avec les autres, papys ?

La voix du vieil homme tremble d’émotion, à nouveau.

       Je ne me suis jamais remis de ton départ, Charlie. Chaque Noël, je sentais ta présence et Louise aussi. Je n’ai jamais cessé de porter mon costume de Père Noël, malgré la peine. Moi aussi, je suis tombé malade. En cette nuit de Noël, j’ai tenu à mettre mon costume de Père Noël une toute dernière fois. Tes parents m’ont pris pour un vieux fou, mais ils ont accepté de m’aider à l’enfiler. Louise a compris. Elle m’a dit de t’embrasser, quand je te verrai, et elle m’a donné un cadeau pour toi. Elle l’a glissé dans ma main, tandis que j’étais allongé dans mon lit, heureux de porter ce costume une fois encore.

Le grand-père ouvre son poing fermé et découvre avec émerveillement un papier replié dans la paume de sa main. Charlie s’empresse de le déplier et découvre un dessin réalisé avec soin, le représentant avec sa sœur, autour du Père Noël. Charlie sent son cœur se gonfler de joie. Il étreint son grand-père. Sous leurs yeux ébahis, la pièce s’ouvre sur un paysage enneigé. Charlie se tourne vers son grand-père.

       Tu as remis ta barbe de Père Noël ?

       Non Charlie, pourquoi ?

Charlie tire sur la longe barbe blanche qui ne s’enlève pas.

       Ouille. Lance son grand-père en se frottant le menton, à travers son épaisse barbe.

       Grand-père, ta barbe, tes cheveux et tes sourcils sont tous blancs.

Il baisse les yeux et regarde le ventre proéminent de son grand-père.

       Ton ventre ! Il est devenu énorme !

Le grand-père s’esclaffe et c’est un rire tonitruant qui résonne autour d’eux.

Les yeux emplis de larmes de bonheur, Charlie crie de joie :

       Papy, maintenant tu es vraiment le Père Noël !

Le rire joyeux retentit à nouveau.

Charlie tient la main de son grand-père.  Devant eux, des sapins majestueux, couverts de neige, se dressent dans la nuit. On sent l’odeur de la cannelle et du vin chaud. Au loin, on entend les clochettes des lutins, qui chantent et appellent le Père Noël, pour distribuer les cadeaux.

Le grand-père regarde Charlie :

       Le premier cadeau sera pour Louise.

Charlie lui sourit. Main dans la main, ils avancent dans la neige. Les flocons ne cessent de tomber et effacent les traces de leurs pas au fur et à mesure qu’ils avancent. Leurs silhouettes s’éloignent jusqu’à n’être plus qu’un point qui disparaît à l’horizon, ne laissant voir que la blancheur scintillante de la neige.

 

© Texte et photo Aliénor Oval – 25/12/2023

 

 

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