Colibriciel

 

Le 25 novembre

 Un sourire furtif apparaît sur le visage de ma mère, lorsque qu’elle me voit entrer dans sa chambre. Un sourire, comme un colibri qui prend son envol, dans un bref éclat de couleur. Puis son visage se fige à nouveau, dans l’oubli de lui-même. Le scintillement de sa joie disparaît, en un instant. Plus aucune expression ne passe sur son visage. Elle fixe le plafond. Le bleu-vert lactescent de ses yeux se glace, comme une eau stagnante, au fond des puits sombres qui creusent ses orbites. Ses joues s’effacent, chaque jour un peu plus. Je m’installe dans le large fauteuil en cuir brun, à côté de son lit. Le corps entier disparait sous les draps. Je caresse doucement son bras et lui parle de ma vie et celle des enfants. Aucune réaction. Je parle encore, de tout, de rien, qu’importe. Inlassablement, je caresse son épaule. Soudain, je remarque un mouvement saccadé, sous le drap. Lentement, sa main émerge du tissu blanc. Elle se fraye son chemin dans les airs, avec grâce, comme un oiseau qui s’envolerait, au ralenti. Je prends sa main dans la mienne et nous restons ainsi, un long moment, peau à peau. Le temps semble suspendu. Puis, sans me regarder, sans me parler, dans un geste d’une infinie lenteur, elle pose ma main contre son cœur. Son corps brisé a su trouver le chemin, là où les mots se sont perdus, depuis longtemps, déjà. Une vague d’amour qui part du cœur, pour se propager, telle une onde pure, dans tout le corps meurtri, jusqu’à sa main, et que le ressac ramène vers le cœur.

Après plusieurs heures, lorsqu’il me faut partir, je l’étreins et pose un baiser sur son front. Le colibri prend son envol, sous un grand soleil, qui irradie tout son visage. Je la quitte durant l’éclaircie. Lorsque je sors de la résidence, je traverse la nuit, comme une mer noire dont les vagues ne cessent de déferler sur mon corps. La tristesse m’envahit, mais je repense à sa main dans la mienne et j’imagine dans ma paume un colibri joyeux et flamboyant, dont le battement des ailes se cale sur les pulsations du cœur de maman. Je me dis que lorsqu’il s’envolera vers le ciel, je sentirai encore sa chaleur, au creux de ma main et de mon cœur.

 Le 3 décembre,

  Samedi soir, nous étions réunis autour de maman, pleins d’amour et de tendresse, tandis que son corps sombrait tout doucement dans les eaux profondes. Plus aucune réaction, même en nous voyant arriver ou partir. Nos mots affectueux réchauffaient son corps si faible. Nous l’entourions, dans la pénombre de cette petite chambre où les souvenirs déferlaient par vagues. Nous nous raccrochions les uns aux autres. Sourire dans la peine, n’est-ce pas tout ce qu’il nous reste ?

Après plusieurs heures, lorsqu’il nous faut partir, je prie l’infirmière de m’appeler à toute heure de la nuit, pour être aux côtés de maman, lorsque le moment le viendra.

Dimanche matin, vers 7h30, je reçois l’appel que je redoutais. Je pars aussitôt. Maman m’a attendue. L’infirmière me confie que maman a pleuré lorsqu’elle a su que j’arrivais, alors qu’elle ne manifestait plus rien, depuis la veille.

J’entre dans l’alcôve. Je suis seule avec maman. Je m’assois, à côté de son lit. Je ne veux pas qu’elle ait peur, devant la fin qui s’approche, d’un instant à l’autre. Je caresse ses cheveux et sa main. Je décide de lui parler, sans m’interrompre, de la laisser se reposer sur ma voix. Je lui raconte ces moments merveilleux, lorsque nous allions ensemble à la plage, avec mon frère, quand nous étions petits. Nous avancions dans l’eau fraîche et sautions dans les rouleaux. Nous riions aux éclats. Maman était si heureuse. Ensuite, nous savourions une glace. Bien des années plus tard, c’est avec ses petits-enfants qu’elle se jetait dans la mer, à l’assaut des vagues, avant de déguster un sorbet.

Je dis à maman que nous marchons, en ce moment-même, sur la plage, au bord de l’eau, main dans la main. Nous sentons le sable humide sous nos pieds, les embruns sur nos visages. Nous entendons le bruit des vagues. Tout est calme. Je lui affirme que je l’accompagnerai, jusqu’au bout du chemin. Une longue larme coule sur son beau visage.

Lorsque je lui décris « regarde le soleil couchant se refléter sur la mer, tu vois comme c’est beau ? », elle rend son dernier souffle, en paix.

Aujourd’hui

Depuis que maman est partie, le ciel n’est plus de la même couleur.  Il a pris des teintes de souvenirs d’enfances, de couleurs passées de cartes postales anciennes. Ce matin, j’ai découvert un ciel de la couleur des magnolias que maman aimait tant. 

Ses pas s’effacent doucement au bord de l’eau, tandis que la mer se retire.

Désormais, à chaque fois que nous contemplerons le soleil couchant se refléter sur la mer, maman sera avec nous, un doux sourire sur son visage, et ses bras, grands ouverts, laisseront tomber une pluie de magnolias sur l’océan.

©Aliénor Oval – Texte et photo – 11/12/23


Commentaires

  1. Quelle merveilleuse ode à la vie quand la séparation s’annonce. Elle doit tellement t’aimer dans le lit poétique où tu l’as bercée de ton amour.
    Merci pour ce merveilleux partage Aliénor

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    1. Merci chère Marie, pour tes mots qui me vont droit au coeur. <3

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  2. À l'amour et à la vie, à tout ce qui vous unis,... À toutes les couleurs du ciel, du blanc au rose et jusqu'au bleu nuit. Que tous tes jolis souvenirs partagés fassent vivre son âme pour l'éternité.
    Je t'envoie tout plein de chaleureuses pensées pour soulager ton cœur triste et fatigué.
    Bien affectueusement
    Marie-Astrid

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    1. Merci de tout coeur pour tes mots pastels, doux et réconfortants. Que vivent nos souvenirs heureux à jamais, malgré la peine. <3

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