Peau de nuage
La pièce lumineuse s’ouvre sur la nature, à travers la fenêtre close, couverte d’un fin voilage blanc. Une échappée, d’un court instant, lorsque j’entre et la vois sur le lit. Corps minuscule, sous les draps. Visage tendu vers le plafond, comme si elle contemplait le plus beau crépuscule. Peau de nuage qui reflète le flamboiement des cieux. Ses yeux immenses se tournent vers moi. Deux voûtes qui se prolongent vers l’au-delà et s’étirent à l’infini. Elle me sourit. La peau de son visage se tapisse de rigoles et de monticules, quand elle projette son sourire d’enfant et ses mots mystérieux, dont le sens nous est étranger, autant qu’à elle-même. Maman. Je tente de retenir mes larmes. Je lui souris. Il n’est pas si loin le temps de nos promenades dans la campagne. Nous cueillions des mûres dans les buissons, sur le bord de la route, et elle me regardait m’élancer à vélo, sans peur. Le soleil caressait mes joues rondes et elle me contenait dans son amour. Elle me portait vers les nues et nommait cela l’avenir. Le temps a-t-il passé si vite ? Ses mains menues émergent des draps, en d’infimes mouvements saccadés, et parfois se joignent, comme pour prier. La peau est si fine, presque translucide. Je caresse sa main, comme je le faisais pour papa, quelques années plus tôt, avant qu’il ne s’envole. Il me semble que du papier de riz se froisse, sous la pulpe de mes doigts. Je lui parle, sans savoir ce qu’elle comprend. De temps en temps, elle acquiesce, ou bien elle rit. Le temps est suspendu. Tout est précieux.Au moment douloureux du départ, il me faut distraire notre peine. Je suis vêtue de noir, comme toujours, avec une robe à lacet de velours noué autour du cou et des manches en dentelle. Tandis que je remets mon perfecto et mon chapeau de style Fedora, à larges bords, je déclame, d’une voix que je veux théâtrale : « Je mets mon grand chapeau ! Et, je mets mon grand manteau ! » Je le répète deux fois, de manière exagérée. Ses yeux s’écarquillent, tels ceux d’une enfant, devant quelque chose de merveilleux. Elle qui ne dit plus que des mots inintelligibles, à part des « oui » et des « non », dont on ne sait pas s’ils sont intentionnels, s’exclame avec ferveur : « Incroyable ! »
Lorsque je quitte la pièce, en lui envoyant un baiser, sa bouche forme une petite montagne d’où jaillit un baiser et, même si je sais que le présent s’éteint, au moins, j’aurais mis quelques étoiles dans ses yeux, tandis que la nuit approche.
©Aliénor Oval texte et photo 25/09/23
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