Jardin éternel / Novella de science-fiction / 2ème partie

 




 Elisabeth avance lentement dans les couloirs de sa maison qui lui apparaissent bien plus grands qu’auparavant. Les murs sont plus ternes aussi, le blanc a laissé place à un gris un peu passé. Combien peut-elle bien avoir de chambres d’ami ? Il y a tellement de portes le long du couloir ! Elle ouvre la première, celle de sa chambre. Les volets sont clos, apparemment. La lumière s’avère un peu plus crue que dans son souvenir. Des cadres de photos d’Elisabeth et James sont accrochés sur les murs d’un beige fade. Elle s’approche de ces clichés poussiéreux et s’arrête devant un moment qu’elle a partagé avec James. Ils sont main dans la main, devant un lac. Leur tenue est légère. C’est l’été, probablement. Elle ne se remémorait pas cette photo. Quand était-ce ? Où se trouvaient-ils ? Des vacances à la montagne, sans doute.

Les instantanés des autres cadres lui sont plus familiers. La photo du mariage, sur laquelle elle est magnifique dans sa robe blanche toute simple, une fleur dans les cheveux. Elle scrute la photographie et s’étonne de voir l’ombre d’une sourde tristesse passer sur son beau visage. Cela est quasiment imperceptible et il lui semble le constater pour la toute première fois. James est radieux. Un homme simple, tout à la joie de son mariage avec la femme qu’il aime plus que tout au monde. Il porte un costume des plus classique qui manque un peu de raffinement sur sa personne. Elisabeth s’étonne de cette réflexion qu’elle ne s’est jamais autorisée. Le cliché suivant les montre à une soirée, chez des amis. Un autre temps. Une autre vie. Avant que tous ne disparaissent, les uns après les autres. Elle porte une robe soyeuse, bleu ciel, froncée au niveau du décolleté. Elle sourit timidement, à côté de James, en pantalon de toile et chemise à manches courtes, l’air ravi.

Elisabeth pense à James, tendre époux, dévoué et fidèle, qui a consacré sa vie entière à tenter de la rendre heureuse, à sa manière, en lui offrant une vie calme et rassurante. Les souvenirs l’assaillent. Les petits déjeuners ensemble dans la cuisine avant de se rendre au magasin pour une journée studieuse, le dîner avec des légumes du potager dans la salle à manger, le café sur la terrasse près des parterres de fleurs, les longues balades dans la nature, les discussions sous le porche les soirs d’été, un tendre baiser sur la joue avant de s’endormir.

Elisabeth s’assoit sur l’édredon délavé du lit et observe la pièce. La grande armoire blanche au large miroir piqué de taches noires, la coiffeuse en bois sur laquelle trônent quelques vieux pots de crème, des bijoux et du maquillage.

En regardant mieux, elle s’aperçoit que la fenêtre est murée. Elle se relève et quitte la pièce. Elle s’engage dans le couloir et ouvre l’une des portes qui se trouvent sur sa droite. James dort sur un rocking-chair, à côté d’un berceau vide. James désirait un enfant, mais cela n’était pas possible pour Elisabeth. James l’acceptait, douloureusement. Au fond d’elle-même, Elisabeth sent bien cette impossibilité d’un enfant avec James, mais ne parvient pas à en connaître la cause, si tant est qu’il y en ait une. Elle sort de la chambre, sans faire de bruit. Elle ne veut pas réveiller James qui dort si bien. Elle descend les escaliers et sort dans le jardin. Elle se dirige vers le potager. Sur l’herbe, pousse un massif de fleurs colorées qui prend la forme du corps étendu de James lorsqu’il rendit son dernier souffle. Puis, au milieu du massif, une fleur dépasse toutes les autres, une merveilleuse, resplendissante rose.

 

*****

 

 — Alors, Elisabeth, vous êtes prête à repartir pour un tour ? lance Emy, en déposant le shaker vide sur son chariot.

 — On dirait bien ! rétorque Elisabeth, souriante.

 — Vous aviez l’air un peu déboussolée, mais satisfaite, hier soir, après cette première utilisation de Memorheal.

 — Je dois reconnaître que c’est très étrange de revivre des choses du passé, même si elles sont différentes d’avant. C’est comme un puzzle qu’il faut reconstituer.

 — Ou, simplement, une nouvelle aventure mêlant le passé, le présent et les rêves.

 — J’ai plus l’impression d’essayer de remettre bout à bout des éléments du passé que de me projeter dans quelque chose de nouveau.

 — À vrai dire, je ne crois pas que ce soit vraiment le but de Memorheal, mais vous êtes libre de l’utiliser comme vous le souhaitez. Ne vous inquiétez pas, je n’en parlerai pas à monsieur Lhifter. Il m’a interrogée hier pour savoir comment s’était passée votre première expérience dans le programme et m’a demandé de lui faire un rapport journalier. Mais, pour tout vous dire, je ne le porte pas dans mon cœur. Je n’aime pas ce genre d’individu. Je ne lui transmettrai que le minimum d’information vous concernant.

 — Merci Emy. Vous savez, c’est un homme d’affaires sans scrupules, je ne me fais aucune illusion à ce sujet. Mais, voyez-vous, Emy, je suis prête à me remettre entre ses mains pour garder encore un peu mes souvenirs et ne pas sombrer tout de suite dans le gouffre béant de l’oubli.

 — Je vous comprends, Elisabeth, répond Emy, en posant sa main sur celle de la vieille dame.

Elisabeth, reconnaissante, plonge son regard dans celui de l’infirmière.

 — Vous rappelez-vous tout ce qui se passe dans le programme, Elisabeth ?

 — Il m’en reste des bribes. C’est assez décousu.

Emy regarde furtivement l’heure, Elisabeth s’en rend compte et sait bien que la jeune femme ne peut pas s’éterniser.

 — Allons-y, lui lance-t-elle vaillamment.

Cette dernière installe la puce.

Elisabeth marche au bord d’un lac avec James. Est-ce le lieu qui se trouvait sur la photo dans sa chambre, la dernière fois ? Cette photo dont elle ne se souvenait pas. Pourtant, ce lieu lui est familier. Bras dessus, bras dessous, elle avance avec James. Doucement, elle pose la tête sur son épaule. Il étreint sa taille fine. L’air est doux. De petits nuages blancs cotonneux parsèment le ciel. L’eau vert émeraude du lac invite à une baignade rafraîchissante. Des arbres vigoureux, au feuillage épais et dense, bordent les alentours du lac. Le soleil brille fort et réchauffe les épaules nues d’Elisabeth. Au loin, une silhouette se découpe devant une roseraie. Une brise légère fait voler quelques pétales qui tourbillonnent un instant autour de la lointaine silhouette, avant de retomber au sol.

Après s’être baladée un long moment, Elisabeth ressent une certaine fatigue et décide de s’asseoir sur un banc situé sous un grand arbre, juste devant elle. James continue à marcher et, tandis qu’il s’éloigne, elle aperçoit un livre posé sur le banc. Elisabeth se saisit du livre, le feuillette et découvre ces mots tirés du poème Sacred Emily, de Gertrude Stein, « Rose is a rose is a rose is a rose ». Ces mots résonnent en elle, comme une vérité oubliée. Un vent léger caresse sa joue. James a disparu dans l’horizon. Le sommeil l’envahit et elle ferme les yeux.

Elisabeth entend la voix d’Emy. La lumière crue du box l’éblouit. La vieille dame se sent oppressée, étouffe. Elle voudrait ouvrir la fenêtre, respirer l’air du dehors, mais il n’y a pas de fenêtre. Cela ne lui manquait plus, à force de s’en priver. Elle avait oublié la caresse du vent sur son visage. Elle sent encore la fraîcheur sur ses joues pâles. Ses yeux s’embuent, pour la première fois depuis longtemps. Se souvenir peut s’avérer douloureux. Se souvenir que l’on a vécu quand l’on ne fait plus que survivre. Emy prend conscience de son trouble.

 — Vous vous sentez bien, Elisabeth ? demande la jeune femme, inquiète.

La résidente tente de dissimuler son désarroi derrière un sourire plein de bravoure.

 — Oui, ça va. Ne vous inquiétez pas, Emy. Je suis seulement un peu émue de retourner dans mes souvenirs.

 — Vous voulez que je vous accompagne au réfectoire ?

 — Non, merci. Je dînerai ici, si vous le voulez bien. Je suis épuisée. J’ai l’impression d’avoir marché toute la journée.

 — Vous êtes sûre ?

 — Oui.

 — Très bien, Elisabeth. Je vous apporte votre dîner, répond l’infirmière, l’air dépité.

 — Merci Emy.

Après avoir rapidement avalé son souper, Elisabeth passe dans l’étroit module de salle de bains dont elle ouvre la porte automatique à reconnaissance digitale. Elle se déshabille lentement. Dix secondes de jet antiseptique, au puissant parfum de synthèse, pour nettoyer son corps et son visage. Cinq secondes pour rincer sa bouche après un brossage à la poudre fluorée, au goût mentholé. Elle brosse ses cheveux et enfile son pyjama, puis range ses vêtements dans la penderie où ils seront automatiquement nettoyés et en profite pour prendre une couverture légère. Elisabeth n’allume pas la télévision. Elle s’assoit dans son fauteuil et sélectionne la position allongée. Elle étend la couverture sur son corps frêle. Tout ce qu’elle entend, ce sont les cliquetis des portes qui s’ouvrent et se ferment indéfiniment et les bruits de pas. Voilà pourquoi elle laisse la télévision allumée, la plupart du temps. Simplement pour dissimuler ces bruits qui ne font que lui rappeler où elle se trouve. La vieille dame fixe le plafond bas de son box. Elle aimerait tant voir les étoiles une fois encore. Elisabeth ferme les yeux. Dans l’obscurité de ses paupières, subsiste l’image persistante d’une rose flottant dans la nuit noire.

 

*****

 

 — Elisabeth, j’ai l’impression que vous êtes pressée de retourner dans le programme. Je me trompe ?

 — On prend vite goût à ces choses-là.

Les deux femmes rient.

 — Vous êtes prête ?

 — Oui.

 — C’est parti.

Elisabeth se promène près du lac. Le soleil baigne la montagne. Sa robe d’été vert amande, brodée de fine dentelle, ondule sous la brise légère. Il lui semble qu’elle marche depuis des heures dans ce lieu paisible, au sein d’une nature luxuriante. Elle s’approche du lac, s’accroupit et reste interdite devant son reflet. Un visage diaphane, des pommettes roses, une bouche bien dessinée, des yeux de biche, de longs cheveux blond cendré. Incrédule, elle touche son visage ferme de jeune femme. Tel Narcisse, elle observe longuement son reflet dans l’eau couleur de ciel. Enfin, elle finit par se détacher de son image si lisse et parfaite. Le pas léger, elle déambule au gré des bruits de la nature et du souffle du vent. Elisabeth se retrouve devant la roseraie qu’elle admirait de loin, le jour précédent. Elle se promène au milieu des roses, toutes plus magnifiques et odorantes les unes que les autres. Elle se penche pour respirer leur merveilleux parfum, tout en caressant les doux pétales. Puis, hume une resplendissante rose blanche et, tandis qu’elle relève la tête, elle voit James qui la considère, avec une intensité dans le regard qui lui est étrangère. Ils se dévisagent tous deux, silencieux et immobiles.

 — Une rose parmi les roses, dit James d’une voix qu’elle ne lui connaît pas.

Flattée, Elisabeth sourit. Alors qu’elle le fixe, le visage de James se brouille, devient flou. Intriguée, elle tente de comprendre.

 — Quel est ton nom ? lui demande-t-il.

 — Elisabeth. Tu le sais bien, voyons.

 — Ton nom est Rose. Tu es une rose parmi les roses.

Le visage de James devient de plus en plus flou. La rose blanche qu’elle respirait un instant plus tôt est devenue d’un pourpre profond. Sans savoir pourquoi, Elisabeth s’entend répéter :

 — Quel est ton nom ?

Elisabeth sent des mains douces et puissantes enserrer les siennes. Le visage de l’homme en face d’elle n’est plus celui de James, mais celui d’un homme brun, aux traits délicats, à la peau claire, aux yeux bleu marine, qui la contemple comme on regarde la plus belle fleur du monde.

 — Mon nom est Clark.

Tout se met à trembler.

 — Elisabeth ! Elisabeth ! hurle Emy.

La résidente sent des mains sur ses épaules, tandis que son corps est secoué de spasmes.

 — Elisabeth, revenez, revenez ! Tout va bien. Vous êtes en sécurité.

Peu à peu, le corps de la vieille dame se détend. Elle ouvre ses grands yeux, pleins de larmes.

 — Que s’est-il passé, Elisabeth ?

 — Je ne sais pas. L’émotion était trop forte. Mon corps s’est emballé.

 — Je n’aime pas ça. Il faudrait peut-être tout arrêter.

 — Non, pas maintenant, Emy.

La porte du box s’ouvre à cet instant-là. Eliott Lhifter entre dans la pièce, l’air tendu, mais néanmoins souriant.

 — Chère Elisabeth, comment se passe votre expérience dans le programme Memorheal ?

 — Elle vient de convulser. Il faut tout stopper. Heureusement que je suis arrivée à temps et que j’ai enlevé la puce ! s’exclame Emy, avant même de laisser à Elisabeth le temps de répondre.

Eliott se tourne vers l’infirmière, et la fixe, d’un air méprisant.

 — Je ne crois pas m’être adressé à vous. Il ne s’agit pas de convulsions, à proprement parler. Je vous rappelle que le corps d’Elisabeth bénéficie d’une éléctrostimulation en lien avec ce qui se passe dans le programme. Une trop forte émotion peut provoquer des spasmes plus importants. Inutile de tout dramatiser.

 — Je ne dramatise rien du tout, renchérit Emy.

 — Veuillez me suivre dans le couloir un instant, mademoiselle Cartham, dit Eliott d’un ton ferme, à l’attention d’Emy.

Puis, il se tourne vers la pensionnaire.

 — Veuillez nous excuser un instant, Elisabeth.

Eliott sort du box, suivi par Emy.

 — Je ne sais pas à quoi vous jouez, mademoiselle Cartham, mais il va falloir apprendre à rester à votre place. Votre insolence mériterait votre renvoi immédiat, cependant je sais qu’Elisabeth vous est très attachée et je ne veux pas la déstabiliser durant la mise en place du programme. Votre place ne tient qu’à un fil. Si vous réitérez ce genre de comportement déplacé, vous ne reverrez plus Elisabeth et vous irez chercher du travail ailleurs. C’est bien compris ?

 — Oui, monsieur Lhifter. Je suis désolée. Je ne sais pas ce qui m’a pris.

 — Je préfère ça.

Eliott pianote sur sa montre connectée.

 — Vous apporterez un chocolat chaud à Elisabeth pour qu’elle se remette de ses émotions. J’ai débloqué un crédit.

 — Oui, monsieur.

Emy s’éloigne. Eliott rejoint Elisabeth.

 — Alors, Elisabeth. Vous avez l’air de vivre de sacrées aventures. Allez-y doucement, quand même. Vous n’avez plus 20 ans, lance Eliott, en s’esclaffant.

 — En effet.

 — Rassurez-moi, Elisabeth, cette petite déconvenue ne vous dissuade pas d’utiliser le programme à nouveau, n’est-ce pas ?

 — Non, en effet. Je tiens à continuer le programme.

 — Je vous reconnais bien là, Elisabeth. Une vraie battante. Je n’en doutais pas.

 

*****

 

Elisabeth, sagement assise, sent la puce se poser sur sa tempe, tandis qu’Emy lui parle gentiment.

Les mains douces et élégantes d’Elisabeth se posent sur un visage à la beauté divine, le visage de Clark. Sa paume effleure son menton, ses joues, ses pommettes, son front. L’émotion l’envahit. Ses larmes chaudes coulent à flots. Elisabeth caresse les cheveux de Clark, tandis qu’il enserre son visage de ses mains fines. Ils se contemplent, mutuellement émerveillés par l’autre. Leurs regards s’embrasent d’une lueur que seuls connaissent les amoureux véritables. Ils sont seuls au monde. Leurs lèvres se rapprochent. Clark embrasse Elisabeth, avec passion. Celle-ci se sent flotter dans l’azur infini. Tremblante d’émotion, la jeune femme retrouvée se blottit dans les bras de Clark. Elle colle son oreille contre son torse. À travers sa chemise, elle entend son cœur qui bat la chamade. Elle l’étreint de toutes ses forces, comme si elle voulait ne jamais se séparer de lui.

Longtemps, ils demeurent ainsi, fascinés par le monde nouveau qui s’ouvre à eux. Leur amour inattendu, soudain, évident leur confère tous les droits. Rien ne compte plus que l’autre. Tout ce qui paraissait important auparavant n’existe plus. Tout ce qui précède leur amour est oublié. Clark et Elisabeth s’allongent dans l’herbe. Ils s’étreignent comme si demain devait ne jamais exister. L’instant présent gomme tout le reste. Être ensemble. Rien, hormis eux, n’a d’importance. Le soleil couchant semble bercer les deux amants. Ils ne font plus qu’un, loin du monde. Ils n’en finissent pas de s’embrasser et de se caresser, avides du corps de l’autre.

Tandis qu’ils s’endorment dans l’herbe, enlacés, dans les lueurs flamboyantes du couchant, Clark montre des signes de nervosité. Il murmure à l’oreille d’Elisabeth, la voix emplie d’une sourde angoisse :

 — Il faut partir.

 — Non, je ne veux pas partir.

 — Rose, ma rose, il faut partir maintenant. Nous n’avons pas le choix.

 — Non, je ne veux pas.

La jeune femme se recroqueville dans les bras de son amant qui la serre fort contre lui.

Elisabeth sent une forte lumière à travers ses paupières closes. Elle ne veut pas ouvrir les yeux. Elle entend le bruit familier du chariot. Emy vient d’enlever la puce. Une immense tristesse l’envahit. Elle finit par revenir dans la réalité. Emy lui découvre des larmes.

 — Elisabeth, comment allez-vous ? Vous pleurez. Que se passe-t-il ?

 — Je ne sais pas si ce sont des larmes de tristesse ou de joie.

 — Pour être honnête, Elisabeth, je ne sais pas quoi penser de tout ça. J’ai l’impression que ce programme vous déstabilise.

 — Vous savez, Emy, reconquérir ses souvenirs perdus pourrait en perturber plus d’un.

 — Le jeu en vaut-il la chandelle ?

 — Sans l’ombre d’un doute, la réponse est oui.

 

*****

 

La porte s’ouvre. Emy entre dans le box d’Elisabeth, munie de son chariot.

 — Bonjour Elisabeth.

La résidente regarde la jeune femme, avec un air interrogateur.

 — Bonjour, vous êtes ?

 — Emy, votre infirmière, répond la jeune femme, tentant de ne pas montrer sa déception.

 — Bien. C’est bien.

Emy tend sa boisson protéinée à Elisabeth et l’aide à la boire. Puis, elle prépare la puce et s’apprête à la poser.

 — C’est quoi ?

 — C’est une puce que je vais placer sur votre tempe, Elisabeth. Nous faisons ça tous les jours.

 — Ah bon ? dit la vieille dame d’un air perplexe.

 — Cela va vous permettre de passer un bon moment et de retrouver vos souvenirs.

 — Ah oui. Je comprends.

Emy, mal à l’aise, installe la puce. La pensionnaire ferme les yeux. Son visage se détend. Son corps est secoué de mouvements légers. Emy se retire.

Elisabeth court dans une rue sombre. Elle court à perdre haleine dans une rue qui s’étire à l’infini, comme les couloirs de la maison de retraite. Plus elle court, plus il lui semble que son objectif s’éloigne. Il s’agit de quelque chose d’important, mais elle ignore quoi. Pourquoi court-elle ainsi comme si sa vie en dépendait ? Elle n’en a pas la moindre idée. Derrière elle, sa maison, toute petite, insignifiante. Devant elle, la certitude d’un malheur. Quelque chose de grave se trame là-bas, elle en est sûre. Elisabeth le sent au fond d’elle. Et c’est tout ce qu’elle sait. Elle est vêtue d’une belle robe blanche à fines bretelles. C’est toujours l’été, même si un froid terrible la saisit, en cet instant. Elle tient un petit sac de voyage en cuir dans sa main. Le sac pèse lourd, affreusement lourd, et la ralentit considérablement. Elle lâche le sac qui tombe sur le bitume. Elle prend de la vitesse et court désormais à vive allure. Le bout de la rue se rapproche. Elle distingue une maison grise, une maison familière, mais qui n’est pas la sienne. La porte est entrouverte. Elisabeth pénètre dans la maison, étreinte par une vive angoisse. Dans le couloir, elle voit Clark étendu sur le sol, du sang plein la chemise. Elle se précipite vers lui et le supplie de se réveiller. Clark demeure immobile. Son visage et ses mains sont glacés. Elle hurle de douleur, le cœur déchiré. Elle veut seulement se coucher à ses côtés et se laisser mourir.

Elisabeth sent son cœur battre à tout rompre. Les palpitations résonnent dans tout son corps. Sa main appuie automatiquement sur le Pad tactile de son fauteuil et déclenche l’appel à l’infirmière. Vu son échelon, elle n’est pas prioritaire pour les appels d’urgence. Si un patient plus riche vient de l’appeler, lui aussi, ce sera fini pour elle. Elisabeth éprouve une vive douleur dans la poitrine. La porte s’ouvre. Eliott entre précipitamment dans la pièce, avec un médecin. Elisabeth sent une piqûre dans son bras et tout s’obscurcit.

                                                                                                                 à suivre...


©Aliénor Oval texte et photo


Commentaires

  1. Un mari dont un massif de fleurs prend la forme du corps sans vie... Un amant qu'Elizabeth retrouve mort dans la maison où ce programme de réalité virtuelle l'a envoyée... Voici qui est intrigant ! 🤨😉😊

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